Ministre présidant le Conseil d'Etat le 30 décembre 1852, ministre sans portefeuille le 3 décembre 1860, ministre de la Justice et des Cultes le 23 juin 1863.
Né à Paris le 18 novembre 1802, mort à Jersey le 29 octobre 1870.
Issu d'une famille de petits boutiquiers, mais ayant un oncle notaire, Pierre Jules Baroche, après son baccalauréat obtenu en 1820, travailla comme clerc chez un avoué, puis reprit ses études et devint avocat en 1823. Il acquit peu à peu une certaine notoriété dans des procès commerciaux et financiers et plaida à plusieurs reprises devant la Cour des pairs, en particulier en juillet 1847 comme défenseur du général Cubières, pair de France, ancien ministre, dans la fameuse affaire de corruption où Teste était également impliqué. Il s'était vainement présenté aux élections législatives en 1840, dans la Seine-et-Oise, puis à nouveau en 1842 et 1846. Il réussit enfin, en novembre 1847, avec le soutien de l'opposition dynastique et des radicaux, à conquérir un siège de député dans la Charente-Inférieure. Il s'associa à la lutte finale contre le ministère Guizot et contribua à sa chute.
Rallié sincèrement à la République, il représenta le même département à l'Assemblée constituante de 1848, puis fut réélu en mai 1849. Il y exerça une influence grandissante, prenant de plus en plus souvent la parole, pour soutenir la politique de reprise en main du pays menée par Cavaignac (pour lequel il semble avoir voté lors de l'élection présidentielle) puis par Odilon Barrot. Parallèlement nommé, en décembre 1848, procureur général près la cour d'appel de Paris, il seconda le gouvernement dans l'épuration de la magistrature et dans la lutte contre l'agitation montagnarde, requérant notamment dans des procès de presse, et en Haute Cour contre les accusés des journées du 15 mai 1848 et du 13 juin 1849. Il poursuivit son oeuvre de répression politique au ministère de l'Intérieur, qu'il occupa du 15 mars 1850 au 24 janvier 1851. Choisi pour sa fermeté et ses talents oratoires, il défendit devant l'Assemblée tous les projets restrictifs des libertés de presse, de réunion et d'association votés à cette époque, ainsi que la loi du 31 mai 1850 restreignant le suffrage universel (à l'élaboration de laquelle il avait d'ailleurs peu participé). Dévoué au Prince-président dans lequel il voyait un principe d'autorité et un rempart contre la subversion sociale, il le soutint contre les attaques de la majorité, tout en souhaitant une réconciliation entre eux (il tenta notamment d'empêcher la destitution de Changarnier mais s'y résigna finalement). Ecarté du ministère pendant les premiers mois de 1851, il revint au gouvernement le 10 avril, comme ministre des Affaires étrangères, mais dut démissionner le 14 octobre. Il était en effet, en désaccord avec Louis-Napoléon qui était décidé à abroger la loi du 31 mai, dont Baroche avait déclaré : "c'est le drapeau du gouvernement dont j'ai l'honneur de faire partie".
Il ne participa pas au coup d'Etat mais s'y rallia et contribua à la rédaction de la Constitution du 14 janvier 1852. Vice-président de la Commission consultative, puis du Conseil d'Etat (dont le président de la République était le président), il en devint le président le 30 décembre 1852, après le rétablissement de l'Empire. A ce poste, où il resta plus de dix ans, il jouait un rôle déterminant dans le processus d'élaboration des lois, en raison des attributions de ce corps sous le second Empire (rédaction des projets ; examen en dernier ressort des amendements proposés par les députés ; défense, au nom des ministres, des projets et de la politique du gouvernement devant les deux Assemblées), et aussi du fait qu'il siégeait au Conseil des ministres. Il était le principal orateur du gouvernement pendant tout l'Empire autoritaire. Pinard disait de lui un peu plus tard : "De telles situations, occupées avec éclat pendant une longue période, donnaient à M. Baroche une grande influence. Au Conseil (des ministres), il était très écouté ; à la tribune, il discutait avec clarté et avec ampleur, toujours maître de lui et n'irritant jamais. Sa puissance dans les débats publics était plutôt le raisonnement que l'éloquence. On peut ajouter que la modération de son esprit ajoutait à l'autorité de sa parole. Il aimait à entretenir avec tous des relations affables et à aider quiconque s'adressait à lui. S'il rencontrait des adversaires sur le terrain politique, il n'y trouvait pas d'ennemis." Il menait enfin le Conseil d'Etat avec autorité et fermeté, y faisant toujours triompher ses vues. Plus qu'un homme d'Etat, toutefois, Baroche était un avocat d'affaires plaidant la cause du gouvernement avec, selon l'ambassadeur d'Autriche, "une rare facilité à s'emparer des matières les plus hétérogènes, de les étudier et de les approfondir", et sachant convaincre, en professionnel talentueux et efficace. En 1860, face au développement d'une double opposition, et s'engageant dans une évolution libérale du régime (vote d'une adresse en particulier), Napoléon III étoffa la représentation gouvernementale devant les deux Assemblées en nommant trois ministres sans portefeuille. Baroche, à partir du 3 décembre, porta ce titre tout restant président du Conseil d'Etat ; mais il passa au second rang dans les débats législatifs, derrière Billault, plus apte que lui aux grandes luttes politiques. Lors du remaniement du 23 juin 1863, il devint à contrecoeur, ministre de la Justice et des Cultes ; et le 20 octobre, il entra au Sénat (auquel il n'avait pu être nommé jusque-là pour cause d'incompatibilité avec ses fonctions au Conseil d'Etat). Ces nominations apparurent aux contemporains comme une demi-retraite ; son épouse nota d'ailleurs dans son journal : "M. Baroche va se reposer au ministère de la Justice (...) de la mission brillante mais lourde qu'il remplissait depuis douze ans devant les Chambres et au Conseil d'Etat." Pendant six ans pourtant, il y accomplit une oeuvre importante. Il prit ses fonctions à un moment où les relations entre la France et le Saint-Siège, donc entre l'Empire et le clergé, étaient fortement assombries, au lendemain de l'unité italienne, par la question de l'intégrité de l'Etat pontifical. Catholique sincère, mais favorable à la liberté de conscience et à la soumission de l'Eglise à l'autorité de l'Etat, il mena une politique de stricte application du Concordat et des articles organiques. Nommant systématiquement des évêques gallicans et "amis de l'Empereur", il s'opposa à la publication de l'encyclique Quanta Cura et du Syllabus qui condamnaient les principes de 1789, à l'extension de la liturgie romaine dans le diocèse de Lyon, et protégea les évêques des empiètements de Rome. Ferme quant au fond, mais disposé aux ménagements dans la forme et aux bonnes manières dans les questions de détail, il atteignit à peu près le but qu'il s'était fixé : "Je croirais avoir bien mérité de l'Eglise, du pays et de l'Empereur, si je pouvais contribuer à un rapprochement que l'ignorance, les malentendus et les passions étroites peuvent seuls empêcher ou retarder." Mais s'il sut reconquérir les sympathies du haut clergé, il ne put empêcher le développement de l'ultramontanisme dans le bas clergé ni dans l'opinion catholique ; et il fut souvent en conflit avec le pape. Plutôt favorable aux protestants libéraux, mais en contradiction sur ce point avec ses collègues du gouvernement appartenant à la religion réformée, il maintint à peu près la neutralité de l'Etat dans leur conflit avec les protestants orthodoxes. Quoique convaincu que la rigueur des lois n'était plus aussi nécessaire qu'au lendemain de la révolution de 1848, il était hostile à l'octroi de libertés politiques plus larges ; mais vouant à l'Empereur une admiration et une confiance totales, il se résigna à l'évolution libérale voulue par celui-ci. Il en était de même pour les réformes judiciaires, dans lesquelles il voyait cependant un dérivatif aux revendications politiques. A partir de 1867, il reparut devant le Corps législatif, en raison d'une réforme constitutionnelle qui permettait de nouveau à certains ministres de défendre eux-mêmes leur politique. Ainsi il fut, une fois encore, plus l’exécutant ou l'avocat que l'initiateur des importantes lois qui ont marqué son ministère en autorisant les coalitions, permettant la liberté provisoire avec ou sans caution, même en matière criminelle, supprimant la contrainte par corps, libérant la presse, et rétablissant dans une certaine mesure le droit de réunion. En raison de l'agitation croissante, à laquelle il lui appartenait de faire face comme ministre de la Justice (par exemple dans l'affaire Baudin), sa popularité fut entamée et, après les élections de 1869, il fut sacrifié, comme Rouher : Napoléon III l'écarta du ministère lors du remaniement du 17 juillet. Celui-ci songea à lui pour la présidence du Sénat, rendue vacante par la mort de Troplong, comme il l'avait fait en 1865, à la mort de Morny, pour la présidence du Corps législatif. Mais il lui préféra finalement Rouher. C'est donc comme simple sénateur, resté cependant membre du Conseil privé, qu'il prit la parole à plusieurs reprises au cours de l'année 1870, d'abord résigné à l'expérience du ministère Ollivier puis, après le plébiscite, impatient de sa chute et d'un retour des vrais fidèles au pouvoir. Il ne survécut pas à la chute de l'Empire.
Francis Choisel in Dictionnaire du second Empire, dir. J. Tulard, Fayard.